Nos yeux n’ont de cesse de nous jouer des tours. Les mirages auxquels ils cèdent – une île qui danse sur la mer, un soleil qui se dilue sur l’horizon, une Lune noire poudrée de rouge – sont plus somptueux les uns que les autres. Ces illusions d’optique ont un point commun, le phénomène physique qui est à leur origine : la réfraction atmosphérique, ou la déviation de la lumière par l’atmosphère terrestre. Explications du phénomène et exemples fascinants.
Sommaire
- Expérience
- La réfraction atmosphérique
- Premier effet : Soleil levant, soleil couchant
- Second effet : La Corse vue du continent
Expérience [Sommaire]
Prenez un verre vide, transparent, et placez-y un stylo (ou un pinceau, un crayon… peu importe l’objet mais prenez quelque chose) qui ne flotte pas, qui soit bien droit. Observez-le à travers les parois du verre, puis par-dessus, et par-dessous. Votre objet vous apparaît toujours tel qu’il est en réalité, tel que vous le voyez quand il se trouve hors du verre : solide, droit.
Remplissez maintenant ce verre à moitié avec de l’eau, et observez à nouveau votre objet. Que constatez-vous ? Il apparaît cassé en deux, et un peu plus gros (plus épais) pour sa partie immergée que pour sa partie hors de l’eau. Quel que soit l’angle depuis lequel vous regardez, vous voyez votre objet fracturé en deux parties au niveau de l’interface air/eau, et plus volumineux en apparence sous la surface. Et vous avez beau savoir qu’il n’est pas brisé, vous le voyez brisé.
Sans être entré dans d’obscurs détails techniques probablement rébarbatifs pour la plupart d’entre vous, vous avez fait l’expérience de la réfraction, à savoir la déviation d’une onde (ici la lumière) selon la nature des milieux dans lesquels elle se propage. [Pour les chiffres et les formules de physique, dirigez-vous vers Techno-Science et Wikipedia]
En effet, la lumière (l’onde lumineuse, voir mon billet « la lumière et les couleurs ») qui parvient à vos yeux depuis la partie haute du verre n’est pas déviée de la même manière que celle qui leur parvient depuis la partie basse du verre, provoquant cet effet visuel d’objet cassé. La première n’a traversé que de l’air et du verre avant d’atteindre votre œil, la seconde certes le même air et le même verre, mais avec une épaisseur d’eau en plus.
À milieux différents, déviations différentes. Vos yeux perçoivent une image de la partie supérieure de l’objet avec une certaine déviation (ou inclinaison), et une image de la partie inférieure de l’objet avec une autre. Résultat pour votre cerveau chargé de recomposer son image complète : une apparence de stylo brisé.
Si maintenant vous remplissez le verre jusqu’à ce que l’objet soit entièrement immergé, vous ne le voyez plus brisé du tout. À nouveau il apparaît tel qu’il est réellement, solide et droit, tout juste un peu plus gros et légèrement plus incliné que ce qu’il est quand le verre est vide.
Remarque : le même phénomène intervient lorsque vous essayez d’attraper un objet dans l’eau (dans une rivière, dans la mer) depuis la surface, peu importe que ce soit à l’épuisette, au harpon, à la main ou au pistolet. Si vous visez comme vous viseriez pour un même geste en surface, c’est à dire en traçant une parfaite ligne droite depuis votre position vers votre cible, vous ne l’atteindrez pas, car il n’est en réalité pas exactement là où vous le voyez mais toujours un peu plus bas (et un peu moins gros, et un peu moins brillant).
La réfraction atmosphérique [Sommaire]
Comme l’expérience précédente l’a montré, les ondes lumineuses sont déviées à chaque fois qu’elles passent d’un milieu d’une certaine composition à un autre d’une autre composition. Or, notre atmosphère n’est en fait guère plus qu’une sorte de mille-feuilles constitué de couches superposées de compositions différentes (compositions qui en plus varient au gré des déplacement des anticyclones et autres dépressions, mais restons simples). [L’atmosphère terrestre sur Wikipedia]
Selon le principe de la réfraction, ces variations de composition, et donc de densité, vont forcer la lumière à ne pas se déplacer de manière rectiligne. En fait, sa trajectoire à travers les différentes couches atmosphériques va être curviligne, et de courbure tournée vers le sol. Résultat ? Rien d’aussi facile à mettre en évidence que notre illusion de stylo brisé, mais des mirages (comme dans les déserts ou en mer), des miroitements et des ondulations (pour les objets très éloignés). [Des précisions sur la réfraction atmosphérique sur Wikipedia]
Notez au passage que la réfraction atmosphérique affecte toutes les ondes électromagnétiques. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, nos yeux ne sont capables de percevoir qu’une courte partie du spectre électromagnétique, à savoir la lumière visible (voir « la lumière des étoiles » pour de plus amples informations sur ce sujet) et donc dans ce billet je ne vais m’intéresser qu’aux seuls phénomènes touchant le spectre optique. Pour en savoir plus sur l’absorption du rayonnement solaire par l’atmosphère consultez les billets de Vincent Daniel.
Enfin, il faut savoir aussi que, en plus de la composition, la réfraction atmosphérique varie en fonction de la température et de la pression des couches atmosphériques traversées, ainsi qu’en fonction de l’épaisseur d’atmosphère traversée… [La distorsion des objets sur l’horizon sur Futura-Sciences]
Bref, tout cela peut paraître bien compliqué mais, pour comprendre les deux étonnants phénomènes que je vais maintenant aborder, il suffit de retenir que l’atmosphère dévie vers le bas la lumière qui la traverse, au fur et à mesure que cette dernière parcourt les différentes couches qui la composent. Limpide, non ?
Soleil levant, soleil couchant [Sommaire]
La réfraction atmosphérique va engendrer deux effets d’optique fascinants. Le premier, vous y assistez tous les jours si vous regardez (attention, ne jamais le faire sans protections !) le soleil quand il se lève ou se couche.
Sur le schéma ci-dessous, vous êtes au point O et vous regardez vers l’horizon (votre regard se porte le long de la ligne bleue). Le soleil – de position réelle soleil S jaune – est physiquement, réellement, sous l’horizon, nous sommes peu après ou peu avant le crépuscule, selon que le soleil est en train de se lever (tôt le matin) ou de se coucher (tard le soir). Comme, de votre emplacement, vous ne pouvez pas voir ce qu’il y a sous l’horizon (à moins d’être capable de voir à travers la Terre elle-même), vous ne devriez pas voir le soleil.
Or, pourtant, vous le voyez. Un soleil bizarrement coloré (orange, rouge, violet…), un soleil déformé, mais un soleil que vous voyez – position apparente soleil S’ orange. En fait, vos yeux vous donnent l’impression que le soleil est au bord de l’horizon (ligne droite O-S’) alors qu’en réalité il est en-dessous. Simplement, à cause de la réfraction atmosphérique, la lumière qu’il émet est courbée au fur et à mesure qu’elle traverse notre atmosphère (trajectoire selon la courbe O-S).
Lorsque vous voyez le soleil « posé » sur l’horizon, il est en réalité encore (le matin) ou déjà (le soir) derrière (dessous) cet horizon. Si vous aviez la possibilité de tirer un projectile en ligne droite depuis votre position et dans la direction où vous le percevez (selon l’axe OS’ donc), vous rateriez votre cible, exactement comme lorsque vous visez en ligne droite depuis la surface un objet qui est sous l’eau. Parce qu’il n’est pas là où vos yeux le voient (S’), il est un peu plus bas, derrière la Terre (S) !
La Corse vue du continent [Sommaire]
Le second effet que je souhaite vous présenter est moins connu car concernant moins de monde, mais tout aussi fascinant : la Corse vue de Nice. C’est un phénomène cette fois plutôt rare, car ne se produisant que lors d’exceptionnelles conditions atmosphériques. En effet, en temps normal, si vous êtes à Nice vous ne pouvez voir la Corse (du moins depuis le niveau de la mer). La courbure de notre globe fait qu’à cette distance l’île est sous l’horizon.
Cependant, dans certaines conditions atmosphériques particulières, la Corse peut apparaître à l’horizon, plus ou moins nette, plus ou moins haute, plus ou moins proche et plus ou moins déformée. Le meilleur moment ? L’hiver, tôt le matin, au lendemain du passage d’une dépression quand le Mistral s’est levé pour débarrasser le ciel de ses nuages.
Le phénomène physique est absolument identique dans son déroulement à celui du soleil sur l’horizon. Sachez qu’il peut donner lieu à de splendides photos comme celle présentée i sur le côté (n’hésitez pas d’ailleurs à visiter le site de son auteur Emmanuel Varoquaux qui en propose plein d’autres). Par contre, contrairement à ce qu’il y ait affirmé, gardez-bien à l’esprit que seule la réfraction atmosphérique est responsable de ce phénomène à basse altitude (et non pas la rotondité de la Terre).
Si les détails du phénomène du « Mirage Corse » en général, et de la réfraction atmosphérique en particulier, vous intéressent, vous trouverez toutes les démonstrations, expériences et calculs sur les pages web du polytechnicien Joël Le Roux : La Corse vue du Continent – Simulation de la trajectoire du rayon lumineux et vérification d’un modèle optique. On y trouve aussi de sympathiques photos comparatives du phénomène Corse selon les variations climatiques (et donc de densité de l’air).
Maxime Mullet • l’Arpenteur de l’Infosphère