Une question de goût

S’il y a bien quelque chose que je trouve affligeant, c’est la médisance. Je trouve tout bonnement hallucinant le temps que peuvent perdre mes contemporains à dire du mal d’un tel, ou de telle chose. Gaspiller tant de temps et d’énergie à brasser du vide, cela me dépasse ! Car il n’y a pas de bon goût, voyez-vous, pas de bonnes manières, de bonnes façons de penser – ou même d’aimer, n’en déplaise à tous les anti – puisque comme « On dit proverbialement qu’il ne faut point disputer des goûts ; pour dire, qu’ils changent selon les diverses inclinations. »

Page de garde du Tome 1 du Dictionnaire de Trévoux
Page de garde du Tome Premier du Dictionnaire de Trévoux, Nouvelle Édition de 1771, Paris (source Wikipédia)

Le goût, définition

P.570 du « Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, contenant la Signification et la Définition des mots de l’une & de l’autre Langue, avec leurs différents usages… », Nouvelle Édition corrigée et considérablement augmentée, Tome Quatrième, Compagnie des libraires associés (Paris, 1771).

On parle, et l’on entend parler sans cesse du goût, du bon goût, du mauvais goût. […] Le goût est un sentiment naturel qui tient à l’âme, et qui est indépendant de toutes les sciences que l’on peut acquérir. Il est bien vrai qu’il peut quelquefois se perfectionner par les connaissances, mais elles le gâtent aussi quelquefois […] elles forment un amas de lumières qui l’éclairent trop.

[…] qu’est-ce qu’avoir du goût ? C’est donner le véritable prix aux choses, être touché des bonnes, être blessé des mauvaises, et n’être point ébloui par de faux brillans, et malgré tout ce qui peut tromper et séduire, juger sainement ; […]

Alors que le jugement repose sur la raison qui elle suppose des principes, tire des conséquences, juge avec connaissances des causes,

le bon goût n’observe aucune de ces formalités […] il a pris librement et droitement son parti ; aussitôt qu’on lui a présenté l’objet, l’impression s’est faite, le sentiment s’est formé, ne lui en demandez pas davantage.

Comme l’oreille est blessée d’un mauvais son, comme l’odorat est flatté par une bonne odeur, avant que la raison se soit mêlée de ces objets pour en juger, le goût s’explique & prévient toutes ces réflexions : elles peuvent bien venir ensuite pour le confirmer, et lui découvrir les raisons secrètes de sa conduite ; mais il n’a pas été à son pouvoir de les attendre. Il arrive même souvent qu’il les ignore […]

Le bon goût tiendrait donc de l’évidence. Il y aurait une loi transcendantale, universelle, qui déterminerait ce qui est beau, bien, bon. Et si, par bonheur – comprenez heureux hasard – nous étions de ceux dotés du bon goût, notre jugement découlerait de la simple application de cette loi. Nous saurions, aux tréfonds de nos entrailles, que telle chose est belle, ou pas… Hé bien, si c’était là la façon de penser au XVIII siècle, ça ne m’étonne plus de voir le monde occidental dans l’état qu’il est aujourd’hui !

Un peu de tolérance, dans un monde étroit d’esprit

Pour ma part, je pense que le « bon » goût n’existe pas, que tout cela évolue selon les époques, la société, la morale et les individus. Le caleçon qui dépasse d’un jean porté ras-les-fesses c’est de mauvais goût ? Au XVIII le summum du bon goût pour un homme c’était collants moulants, maquillages style ravalement de façade et perruques à profusion… les temps changent (encore heureux). Les couleurs de ce tableau sont, selon vous, une pure merveille ? Allez demander son avis à un daltonien, vous allez voir ce qu’il pense de votre chef d’œuvre… les individus perçoivent le monde de manière différente.

Mon goût à moi, je le partage avec moi-même, et c’est déjà un bon début. Je sais ce que j’aime, ou ce que je n’aime pas, et je n’ai pas vraiment besoin qu’on me dise quoi penser d’une œuvre, naturelle ou artificielle. Ce que je veux dire ici c’est que, s’il existe un bon goût, je ne sais – à mon humble niveau – juger qu’au travers de ma propre sensibilité.

Du coup je n’ai pas la prétention d’être critique, que ce soit littéraire, cinématographique, ou quoi que ce soit d’autre. Si je tiens une section critique de livres dans ce blog, c’est dans l’unique but de parler – de vous parler – des histoires que j’aime, de partager mes plaisirs et mes découvertes, de faire connaître les œuvres qui me font rêver. Pas pour perdre mon temps à juger, l’index levé, la science infuse au bout des lèvres, le travail des autres, ni lyncher leur labeur gratuitement.

Je n’écris pas non plus ici pour discutailler de l’inclination de mes goûts. Certes, je suis bien loin de tout aimer, et de très nombreuses histoires m’apparaissent complètement ratées. Et à l’inverse j’ai souvent des goûts qui apparaissent bien bizarres aux yeux de mes contemporains. Cependant, quand une œuvre ne me touche pas, je passe simplement mon chemin, me disant qu’elle ne s’adresse probablement pas à moi. Je ne perds pas ma salive et mes octets à déblatérer dessus.

N’oubliez pas, n’oubliez jamais, tous les goûts sont dans la nature. Tolérance, ouverture d’esprit ! Comme on dit de nos jours, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Sinon, on finit toujours par se disputer, et je ne suis pas là pour distribuer les points Godwin. Par contre vous, vous pouvez très bien exposer les vôtres, de goûts, dans les commentaires des billets de ce blog. C’est à cela qu’ils sont destinés, entre autres.

Maxime Mullet • l’Arpenteur de l’Infosphère

3 réponses à “Une question de goût

  1. nala

    Evidemment les gouts et les couleurs ne se discutent pas, comme décrit dans ton billet, c’est une question de sensibilité, de réaction personnelle intuitive, basée sur ..rien …d’explicable en tout cas.
    J’ai aussi beaucoup de mal avec les personnes qui se permettent de critiquer des avis….on peut ne pas être d’accord, mais en aucun cas remettre en question l’avis en soit. Cela reviendrait à remettre en question la perception, l’émotion, la sensibilité individuelles.
    Respectez donc l’individualité et la personnalité de chacun Mrs les donneurs de leçons, ne nous dites pas comment penser ou réflechir, quoi aimer ou détester.
    La beauté et l’originalité des gens, notre attachement à eux tiens aussi dans leur gouts.

  2. Anna

    Plus qu’une question de sensibilité, oui, c’est une question de perception du monde. Donc quelque part aussi une question de développement du cerveau, propre à chaque individu.
    Pour ma part, je n’ai pas d’oreille. Les notes pour moi se ressemblent toutes. Quand j’ai regardé « The Voice » (désolée pour la référence !), que j’ai entendu je-ne-sais-plus-qui dire « prends la un ton au-dessus », j’ai dit « mais c’est pareil », mon chéri m’a dit « mais non écoute ». Mais pour moi c’était pareil. Je distingue bien aigu et grave, mais pas plus.
    Peut être pour ça que j’apprécie des chanteurs que certains trouvent insupportables ! (« Je t’aaaiiiiiiiiiiiimmmmmmmmmmmmmeeeeeeee », te rappelles-tu, à travers les murs de ta chambre !)

    1. Maxime Mullet Auteur de l’article

      Oh oui je me rappelle, et je raconte même toujours, 20 ans plus tard, nos affrontements Cabrel/Fabian/Dion vs Metallica/Maiden/AC-DC !

      J’ai un problème semblable avec les couleurs, quand on se retrouve aux limites vert/bleu-vert/bleu je ne vois apparemment pas tout à fait comme la majorité des êtres humains. Je ne m’en suis rendu compte que récemment, après m’être pris des remarques pendant des années. Et j’ai encore plus de mal le soir, quand on s’éclaire aux ampoules à la lumière plutôt jaune comme on a maintenant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *