Lorsque l’on cherche à se renseigner sur les différentes pratiques des internautes en ce qui concerne les navigateurs Internet gratuits, force est de constater que les pourcentages d’utilisation, les parts de marché de chacun, varient (parfois très fortement) d’un service de mesure à l’autre. Pourquoi autant d’écart entre les valeurs annoncées ? Parce qu’ils utilisent tous, pour établir leurs statistiques, un panel de sites et des formules de calcul de fréquentation très différents. Tour d’horizon.
Sommaire
- Pourquoi reste-il nécessaire de mesurer les parts de marché des navigateurs Web ?
- Une question de sources
- Quels organismes, pour quelles statistiques ?
- Le choix de l’Arpenteur
- Conclusion
Article connexe :
Pourquoi reste-il nécessaire de mesurer les parts de marché des navigateurs Web ? [Sommaire]
Tous les navigateurs Internet ont des points forts et des points faibles. Certains respectent plus la vie privée de leurs utilisateurs, d’autres misent plus sur la rapidité (de chargement des pages, de fluidité du surf). Certains sont plus confortables, ergonomiques et/ou sobres, d’autres misent plus sur les fonctionnalités et la modularité, les plugins et les extensions.
L’usager peut changer de navigateur quand il le souhaite, en utiliser plusieurs sur la même machine selon ses besoins, et ce quel que soit le matériel exploité (smartphone comme télévision, tablette comme ordinateur). Il peut facilement s’informer des bons et des mauvais côtés de chacun et, jusqu’à nouvel ordre, reste libre d’utiliser celui qu’il désire pour surfer. En Europe d’ailleurs, il a même été imposé à Microsoft, suite à une condamnation pour abus de position de dominante, de faire un mini-site présentant ses concurrents : le très peu connu Ballot Screen.
Or tous les navigateurs Internet ne restituent pas les pages Web de la même manière. C’est entre autres le travail des développeurs Web (comme moi soit-dit en passant) de faire que leurs sites soient compatibles tous navigateurs, et que l’utilisateur ne voit pas (trop) de différences selon celui qu’il emploie sur l’instant.
Pas trop, car parfois il est tout simplement impossible d’avoir un rendu parfaitement identique dans un temps raisonnable et pour un coût de développement acceptable — on peut toujours arriver à quelque chose de très similaire sur chaque navigateur, mais si l’on doit passer 2 jours sur chacun d’entre eux à résoudre un problème d’arrondi d’angle ou de décalage d’un pixel par-ci par-là, on va vite finir ruiné. Et plus l’écart de génération entre deux navigateurs est important, plus le fossé est difficile et consommateur de temps à combler.
Vous comprendrez alors pourquoi il est important de connaître précisément les outils maniés par sa potentielle audience… Savoir combien d’internautes utilisent tel ou tel navigateur, et ont telle ou telle pratique, permet :
- d’un côté de conformer le code de son site aux outils employés par ses visiteurs,
- de l’autre de ne pas perdre de temps à développer (et du temps de gagné, ce sont des économies de faites) pour des navigateurs qui n’apporteront aucun trafic car abandonnés de tous (ou simplement du public visé).
Par exemple, si votre site — qui imaginons fait dans le millier de visiteurs français par jour — use et abuse des toutes dernières animations rendues possibles grâce au CSS3, avez-vous réellement les moyens financiers (et le temps de développement disponible) de le rendre totalement compatible IE7 (en France, en février 2014 en moyenne 2 internautes sur 1.000 le pratiquent encore) ou pire IE6 (6 sur 10.000) ? Pouvez-vous (devez-vous !) vous permettre de vérifier que tout se passe bien sous UC Browser, un navigateur inutilisé en occident mais très populaire en extrême-orient ?
À l’inverse, si votre site fournit un service public il est probablement imposé au cahier des charges d’avoir une (rétro)compatibilité maximale. Savoir alors si un navigateur est utilisé ou pas par un internaute français devient indispensable puisque cela va directement influer sur vos axes de développement et de maintenance…
Bref, connaître les tendances d’utilisation des navigateurs Web, pour qui développe un site, pour qui souhaite avoir des internautes pleinement satisfaits de leurs visites, permet donc d’orienter et d’optimiser en toute connaissance de cause et la construction, et le développement, et l’entretien dudit site.
Une question de sources [Sommaire]
Sommairement, la part de marché d’un navigateur Web est le pourcentage d’utilisateurs de ce navigateur Web sur un groupe de sites Web. Mais comment comptabiliser ces fameux utilisateurs ? Comment identifier les navigateurs Internet qu’ils emploient ? Quelles pages, quels sites ou groupes de sites pensons-nous devoir / devrait-on en fait / surveillons-nous finalement ? C’est sur ces points que va se faire toute la différence.
Depuis 2011 et jusque fin 2013 j’utilisais, pour mes articles et pour dresser mon classement des navigateurs Internet les plus utilisés, les chiffres de trois organismes de statistiques, à savoir StatCounter, W3Counter et NetMarketShare. Mon choix c’était à l’époque porté sur eux pour une question de régularité de publication. En effet, c’était les trois seuls à publier tous les mois publiquement et gratuitement leurs données.
Avec le temps, vous avez été de plus en plus nombreux, vous mes lecteurs, à me demander pourquoi sur tel ou tel site on donnait parfois un classement complètement différent du mien. Et pourquoi tout simplement, déjà dans mes propres articles, il y avait autant de différences entre NetMarketShare — qui annonce allègrement depuis des années Internet Explorer en première position à plus de 50% — et tous les autres — pour qui IE serait plutôt aujourd’hui (début 2014) en deuxième voire troisième position (selon qu’on le place respectivement au-dessus ou au-dessous des 20% de Parts de Marché).
Tout simplement parce que, pour déterminer ces fameuses parts de marché il n’existe pas qu’une seule façon de compter. Selon les organismes de mesure d’audience, on va s’intéresser globalement aux sites ou plus précisément aux pages, on va évaluer et soustraire les préchargements (qui ne sont pas du tout des pages réellement ouvertes et vues par les internautes mais qui sont parfois comptabilisées) ou ne pas s’en préoccuper, on va ignorer les passages des robots ou faire avec…
Tout simplement parce que, pour déterminer ces fameuses parts de marché tout le monde ne mesure pas le même périmètre de sites Web. Certains observent les sites qu’ils hébergent eux-mêmes (et seulement « leurs » sites), d’autres font appel à la bonne volonté des administrateurs de sites Web en proposant des modules d’audit à installer…
Du coup, tous les résultats sont plus ou moins intéressants, plus ou moins biaisés, plus ou moins utiles, selon l’information que vous cherchez. En ce qui me concerne, je m’intéresse exclusivement (dans ce blog et pour l’instant) au marché francophone.
Quels organismes, pour quelles statistiques ? [Sommaire]
Chez StatCounter, on annonce remonter les données de plus de 3 millions de sites Web de toute la planète, pour plus de 15 milliards de pages vues chaque mois. Leurs statistiques sont assez malléables, de très nombreux filtres et critères de classements sont disponibles et permettent de sortir des statistiques pour un peu toutes les catégories d’internautes (continents, pays, mobiles, desktop…). [FAQ StatCounter]
Pour W3Counter, on prend en compte le trafic de plus de 73 000 sites, avec pour chacun d’eux des statistiques élaborées selon les 15 000 dernières pages vues. Cela nous donne environ 1,1 milliard de pages comptabilisées chaque mois. Il n’existe aucun moyen de filtrer/réarranger leurs résultats, tout juste peut-on définir un top 6 mondial. [Méthodologie W3Counter, données en bas de page]
Chez NetMarketShare, on cumule l’observation du trafic de 40 000 sites à travers toute la planète, pour approximativement 160 millions de visiteurs uniques (le tout pondéré selon le nombre moyen officiel d’internautes de chaque pays — consulter leur méthodologie pour de plus amples explications sur ce point). Parce que chez eux, oui, on compte en visiteurs uniques et pas en pages vues (We ‘count’ unique visitors to our network sites, and only count one unique visit to each network site per day). Traduction ? Que vous visitiez une ou un millier de pages des sites qu’ils observent, peu importe, le navigateur que vous utilisez ne se verra attribuer qu’une seule Part de Marché. [FAQ NetMarketShare]
Pour Akamai IO, société américaine spécialisée dans la mise à disposition de serveurs de cache pour les entreprises (source Wikipedia), les données proviennent de l’observation de tous les sites hébergés sur leur serveurs… à savoir environ 30% de tout le trafic mondial, rien de moins. Comme l’ensemble leur remonte quelque chose comme, je cite, environ deux mille milliards de requêtes de contenu par jour provenant d’utilisateurs de centaines de pays à travers le monde, ils échantillonnent une infime partie jugée représentative de ce trafic et sortent leurs statistiques sur cet échantillon. [FAQ Akamai IO]
Chez AT Internet, on indique plus modestement un « périmètre de sites Web représentatifs ». Qu’est ce que cela implique ? Que l’on écarte les données provenant de sites à audience anecdotique ou chaotique, que l’on ignore les sites mobiles, que le domaine audité contient quelques 350 000 sites hébergés dans 23 pays européens. [Méthodologie AT Internet, consultable en fin d’article]
Le choix de l’Arpenteur [Sommaire]
La méthodologie particulière de NetMarketShare mérite qu’on s’attarde un peu sur elle. Son système de comptage, vraiment très différent de celui de ses concurrents, explique en effet pourquoi contre vents et marées il continue de donner Internet Explorer très largement en tête de tous les navigateurs.
Prenons un exemple tout simple, un internaute avec à la fois Internet Explorer (utile quand même souvent pour surfer sur les sites officiels/gouvernementaux à l’aide d’un navigateur « nature », vierge de modules et de plugins, et pour lequel tous les webmasters du monde font plus attention à leur code que les autres) et Firefox (le grand spécialiste des scripts et add-ons divers et variés) installés sur son ordinateur.
Admettons que cet internaute aille sur des sites surveillés par tous les organismes cités ci-dessus, et disons qu’il surfe, dans la même journée, d’un côté avec IE sur 2 sites sur lesquels il consulte à chaque fois 5 pages différentes (soit 10 pages au total), de l’autre avec Firefox sur 2 autres sites dans lesquels il va cette fois ouvrir à chaque fois 20 pages différentes (soit 40 pages au total).
Quels vont être les résultats affichés par les uns et les autres ? Ils vont être de deux types :
- d’un côté, pour NetMarketShare, il y a les deux fois accès unique à leur réseau de sites observés à l’aide d’un navigateur différent = 1 point pour chaque navigateur, ce qui nous fait 50% de PdM pour IE et 50% pour Firefox.
- de l’autre, pour tous les autres organismes, il y a 10 pages ouvertes d’un côté (10 points), 40 de l’autre (40 points), ce qui nous fait 20% de PdM pour IE et 80% pour Firefox.
Aucun rapport entre les résultats des deux méthodes. C’est comme si, pour NetMarketShare, une page ouverte par un navigateur sur mon blog valait autant qu’un nombre infini de pages visitées sur Youtube avec un autre… Étrange, très étrange façon de comptabiliser un trafic.
Mais prenons un second exemple. Cette fois, notre internaute visite, toujours dans une même journée, avec IE 10 sites différents pour y ouvrir 1 page, puis avec Firefox 1 seul site mais pour y ouvrir 10 pages différentes. Nous avons donc ce coup-ci 10 pages ouvertes de chaque côté.
Quelles vont être ce coup-ci les statistiques remontées ? Cette fois elles seront identiques :
- pour NetMarketShare, avec son compteur d’accès à son réseau de sites observés, nous avons de nouveau un accès pour chaque navigateur, et donc un 50/50.
- pour les autres, avec leurs compteurs de pages Web ouvertes, nous aurons cette fois aussi un 50/50 pour IE et Firefox.
Alors je ne sais pas comment se passent les choses dans d’autres pays que le France, je ne peux donc pas généraliser mon expérience « locale » au monde entier. Mais bon, ici, 9 fois sur 10 sur les ordinateurs du boulot il y a Windows installé avec Internet Explorer — et c’est tout. Les systèmes sont verrouillés, l’utilisateur ne peut pas utiliser un autre navigateur. Par conséquent, chaque jour, chaque personne qui surfe depuis un ordinateur du boulot, même si ce n’est que pour consulter 1 seule page Web, donne une Part de Marché à IE — aux yeux de NetMarketShare du moins.
Par contre, une fois à la maison, ou simplement depuis les tablettes et les smartphones, si elle peut utiliser autre chose, la plupart du temps elle va utiliser autre chose. Mais elle aura beau surfer des heures, visiter des dizaines de sites, ouvrir des centaines pages, aux yeux de NetMarketShare elle ne fera que donner un point de plus au navigateur utilisé.
Au final, dans cette configuration le visiteur unique que nous sommes tous aux yeux de cet organisme donne chaque jour 1 point à IE, et 1 point à un autre navigateur. Et du coup on se retrouve avec un navigateur de Microsoft à plus de 50% de PdM, et tous les autres qui se partagent les 40 et quelques pourcents de parts d’utilisation qu’il reste.
Conclusion [Sommaire]
NetMarketShare ne mesure pas l’utilisation plus ou moins intensive qui est faite d’un navigateur, il mesure juste si un navigateur est utilisé au moins une fois par jour par un internaute. Avec un OS(Windows) installé par défaut sur quelques 90% des ordinateurs de la planète, et un Internet Explorer qui lui est fusionné, on ne risque pas, si vous voulez mon avis, de voir les statistiques de NetMarketShare se renverser dans un avenir proche…
C’est pour cette raison que, depuis début 2014, je ne remonte plus leurs statistiques et classements mondiaux mais me tourne maintenant, en plus de mes habituels StatCounter et W3Counter, vers celles fournies par Akamai IO et, lorsque cela sera possible (ces deux dernières années ils n’en ont fourni qu’à 4 reprises et sans aucune régularité donc je ne promets rien), celles du français AT Internet (qui cible le marché européen).
Maxime Mullet • l’Arpenteur de l’Infosphère
Bonsoir
Je vous remercie à mon tour pour votre article et votre réponse. Finalement cet échange nous aura été bénéfique à tous les deux. Vous m’avez permis de comprendre l’origine des écarts que je ne comprenais pas et je vous aurais aider à voir un intérêt dans une statistique un peu marginale par rapport aux autres.
A ce sujet l’article de Wikipédia mériterait d’être amélioré car il était à l’origine de mes interrogations auquel vous avez apporté une réponse.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Parts_de_march%C3%A9_des_navigateurs_web
Merci encore.
Bonjour,
En faisant des recherches, à titre professionnel, sur les pdm des navigateurs je suis tombé sur votre article qui m’a aidé à comprendre les différences de comptage et je vous en remercie.
Je me permets tout de même de rebondir sur votre conclusion, en faisant un parallèle avec le monde de l’automobile auquel j’appartiens, je ferais ensuite une conclusion qui m’est propre.
Lorsqu’on parle de part de marché, on parle d’unité de vente. Par exemple, les parts de marché de la dernière Clio ou 208 se mesure en nombre d’immatriculation. Les pdm des navigateurs web doivent donc se mesurer en nombre d’installation.
J’ai parfaitement conscience que le nombre de pages visités chaque jour avec tel ou tel navigateur ont un intérêt pour les développeurs, je ne remet donc pas en doute la véracité des études autres que NetMarketShare, mais je pense simplement que les deux méthodes ne donne simplement pas les résultats comparables. Pour revenir à l’automobile, personne ne mesure les parts de marché des véhicules en fonction du nombre de kilomètres cumulé du modèle, de tels statistiques n’existent même pas…
Pour ma part NetMarketShare mesure les parts de marché au sens propre du terme : nombre de personnes utilisant le navigateur dans le monde sans notion de trafic. Cela traduit potentiellement le nombre de vente que je pourrais faire d’un module lié à un navigateur.
Les autres intervenants mesurent des « parts de trafic », indispensable aux développeurs web mais qui devrait être baptisé du bon nom.
J’espère que cela vous permettra de ne pas simplement exclure NetMarketShare de votre blog, mais d’ajouter une note pour expliquer les différences et permettre à chacun de trouvé l’information qu’il cherche.
Grâce à vos explications j’ai eu ma réponse : les informations utiles à ma recherche sont celles de NetMarketShare… Je suis prêt à parier que les clients de NetMarketShare sont des sociétés commerciales et non des développeurs, et qu’ils maintiennent leur stats car certains de leur clients les achètent… comme dans l’automobile.
Cdlt
XPJ
Bonjour,
Merci beaucoup de ces exemples et de vos lumières sur le sujet, vraiment.
Jusque fin 2013 j’avais fait attention à ne parler que de parts d’utilisation (PdU) dans mes billets, celles que vous nommez parts de trafic, celles qui m’intéressaient en tant que développeur Web soucieux d’avoir des sites conformes aux navigateurs utilisés par mes visiteurs majoritaires. Mais hélas pour moi pour mon article janvier-février 2014 je me suis laissé aller à la facilité, et j’ai à la fois arrêté d’évoquer les chiffres de NetMarketShare (parce que pour moi ils n’avaient pas beaucoup de sens), et à la fois je n’ai plus fait la distinction entre d’un côté les parts de trafic (ou parts d’utilisation) et de l’autre les parts de marché (ou parts d’installation) (ne voyant plus très bien la frontière entre les deux).
Double erreur. Je vais donc de ce pas mettre à jour mes articles, celui-ci, mon article récapitulatif janvier-février 2014 et ceux qui le précèdent et qui sont encore consultés.
Et oui, je parlerai alors à nouveau, certainement une fois tous les 6 mois parce qu’elles évoluent vraiment très peu, des parts de marché données par NetMarketShare. Maintenant que je vois parfaitement quelle utilité elles ont !